Sonia Delaunay : ses Lignes de vie.
Arrivée à Paris en 1910, elle a également investi des années au cœur de l’extravagante avant-garde en tant qu’artiste et designer, mais elle a été éclipsée par son autre moitié, encore plus connue. Aujourd’hui, la première rétrospective de son travail au Royaume-Uni met en lumière les visions de Delaunay qui s’expriment de façon éclatante
Lorsque Sonia Terk épouse Robert Delaunay en 1910, elle a 25 ans. Elle avait alors changé deux fois de pays, de nom, et s’était mariée une fois, un court mariage de convenance avec Wilhelm Uhde, sceptique et passionné d’art. Il était homosexuel ; elle subissait l’opinion publique des membres de sa famille en Russie. Le fait d’être mariée lui fournit une raison de rester à Paris. Uhde est resté un ami de longue date, mais chez l’artiste Delaunay, un leader de l’abstraction, elle a trouvé l’âme sœur. Ensemble, ils finirent par être plutôt le couple de pouvoir progressiste.
Née Sarah Stern en Ukraine, Sonia avait été envoyée très tôt chez son oncle et sa tante à Saint-Pétersbourg. C’étaient des Juifs très cultivés et aisés, et Sonia a adopté leur nom de famille. Elle a également changé de prénom, et aussi lorsque Sonia Terk est partie étudier la peinture en Allemagne. À 21 ans, elle se rend à Paris à la recherche de souplesse, de vigueur et de jeunesse, ce qu’elle découvre. Une photo de 1908 la montre assise à une table, dans une tenue sombre et pointilleuse, tous les boutons ainsi que les plis (bien que les avant-bras soient nus). Elle a déjà l’air d’avoir atteint l’âge mûr. Une photo prise cinq ans plus tard montre Sonia se présentant dans une tenue en patchwork libre de sa propre création, réalisée dans un design “simultané” dynamique et contrasté. Elle se présente de plus en plus jeune et prête à danser.
Les premières œuvres du prochain programme de la Tate Modern proviennent des jeunes de Sonia avant Paris. Il s’agit de portraits et de paysages à l’huile sur toile, qui doivent beaucoup à Gauguin, avec des couleurs qui sautent aux murs. Cette fascination très précoce pour la couleur marquera certainement le reste de sa longue carrière. L’aspect métaphorique s’effaça à juste titre (bien qu’il réapparaîtrait certainement de temps en temps) et elle produisit rapidement des abstractions vibrantes. Sa tante à Saint-Pétersbourg était en fait décédée en léguant sa maison, de même que Robert était un petit aristocrate, de sorte que les Delaunay se réjouissaient d’un revenu personnel. Ensemble, ils captivent et tiennent des salons. Parmi leurs copains, on trouve des musiciens comme Kandinsky et Chagall, ainsi que les poètes Guillaume Apollinaire et Blaise Cendrars.
En l’occurrence, le promeneur dans le hall n’était pas l’ennemi de l’assurance. (Il n’en reste pas moins que la difficulté est certainement le candidat le plus probable.) Il est encore rare, cependant, qu’une couverture de berceau reçoive une place dans une galerie et soit reconnue comme une œuvre d’art essentielle. La petite couverture que Sonia a cousue pour son enfant, Charles, en 1911 doit être exposée, et il semble qu’elle ait été un élément de progrès qui l’a fait passer d’un travail métaphorique à un travail abstrait. La couverture est un assortiment patchwork de roses, de lotions et d’éco-amis avec des pointes marron et noires. Il montre comment Sonia a mêlé le folklore russe à l’avant-garde parisienne, tout en s’attendant à ce que la couleur et la forme qui allaient devenir le motif caractéristique de Delaunay soient simultanément essayées.
Outre le patchwork de bébé, on y voit la boîte de jouets peinte de l’enfant, ainsi que les vêtements que Sonia a fabriqués, comme celui de la photo ci-dessus : en 1913, les Delaunay avaient en effet trouvé une baby-sitter et se dirigeaient vers la salle de danse, le Bal Bullier. En plus de fabriquer des vêtements pour elle-même et ses bons amis, Sonia continuait à repeindre. À côté de la robe, qui est composée de morceaux de tissu de différentes structures, se trouve son énorme toile, le Bal Bullier. Circulation de couleurs et aussi de rythme, elle montre de nombreux couples (ou un couple qui virevolte) sous une nouvelle sensation parisienne : des lumières électriques colorées.
Il est possible que Sonia se soit détournée de la peinture pour laisser à Robert la possibilité de poursuivre la sienne, afin qu’ils puissent travailler ensemble sur leur projet commun sans entrer en concurrence directe. Sonia a choisi de travailler progressivement à l’aiguille. Elle aimait souligner son origine russe (mais pas sa judaïcité), car les arts individuels russes avaient de la classe et connaissaient un regain d’intérêt. Il se peut également que Sonia et divers autres modernistes n’aient pas vu de différence entre les beaux-arts et les arts appliqués. Elle voulait un polyglotte interculturel, habitué à traduire et aussi à changer de mode d’expression. Pourquoi son esthétique ne se révèle-t-elle pas actuellement comme une peinture sur une surface murale, actuellement comme une tenue, maintenant comme une reliure de livre ? Son art était portable, c’était la façon de vivre d’une nouvelle race : la femme moderne et créative.
C’est ainsi que simultané, que Sonia et Robert allaient pratiquer toute leur vie, a vu le jour. Qu’est-ce que c’était ? Un mouvement, un design, un voyage visuel ? (Cendrars appelle cela une “technique”.) Un mélange russo-français, il se réjouit du mouvement et de la comparaison des couleurs et aussi de leur loquacité. Il se réjouissait de la vivacité produite lorsque cette couleur ou cette nuance était parquée à côté, et perçue en même temps, simultanément. Dans l’œuvre de Sonia, il y a un mouvement et un rythme très vivants. (“La comparaison est l’amour”, disait Cendrars.) La couleur était le langage. Chaque bruit avait sa couleur.
Cendrars est un autre polyglotte interculturel, et très vite, il collabore avec Sonia à la publication de La prose du Transsibérien et de la Petite Jehanne de France (1913). Ce magnifique ouvrage de deux mètres de long sur 20 cm de large, plié comme un concertino dans une pochette peinte à la main, présente à droite la rime de voyage de Cendrars dans des caractères de différentes couleurs, et à gauche l’œuvre d’art roulante de Delaunay “analysant avec les couleurs et aussi leurs tons les thèmes et aussi les sensations partagées par le message poétique”. Triomphe de la synesthésie, il écoute les sons de la rime comme la couleur, ses rythmes comme les formes. Au fond, une petite Tour Eiffel rouge, un motif qui a fait son apparition à maintes reprises dans le travail de Robert et Sonia Delaunay, comme le dernier cri de la modernité.
Ce couple au centre du Paris d’avant-garde, champions l’un de l’autre, est parti en vacances en Espagne au sortir de la toute première guerre mondiale. Ils y restèrent jusqu’à ce qu’ils s’installent au Portugal. Ils ont repeint, exposé et créé des appels qui leur ont certainement rendu de grands services. Sonia a de nouveau créé de grandes toiles, qui sont autant issues de la boue des Flandres qu’on peut l’imaginer. De ses arcs et arcs distincts naissent des scènes de marché ainsi que des chanteurs de flamenco.
S’il s’agissait d’une vie de charme, la transformation russe y a mis un court terme. Sonia dépendait de l’autorisation de ses propriétés résidentielles à Saint-Pétersbourg, mais en 1917, les bolcheviks les ont confisquées et le flux d’argent a cessé. Cela a dû être un choc. Dans la trentaine, les Delaunay ont dû pour la première fois trouver un moyen de gagner leur vie. Grâce à ses talents de couturière et de styliste, Sonia était mieux placée que le beaucoup plus délicat Robert. À Madrid, le couple avait comblé Diaghilev, et bientôt Sonia créait aussi des costumes pour le Cléopâtre des Ballets Russes. L’action au sein même du commerce était un simple shimmy pour le visuel simultané. Au milieu des années 20, Sonia dispose d’un atelier parisien dédié à la création de textiles et de vêtements et ouvre une maison de couture appelée Sonia. L’expérience d’avant-garde du moment fait ses preuves, avec des mots simultanés déposés comme marque en France comme aux États-Unis.
Les principales années de cette rétrospective suggèrent une expérience d’achat haut de gamme. Les vitrines des magasins sont recréées avec des chaussures et des sacs brodés, disposés comme Sonia l’a elle-même décrété. Ses tissus sont présentés sur des rouleaux mécaniques de déplacement pour un impact dynamique complet. On y trouve des exemples de textiles, des maillots de bain à risque et aussi des casquettes de conduite pour les femmes contemporaines qui conduisaient les voitures modernes. C’était peut-être contemporain, mais c’était aussi artisanal que cher, évidemment.
Si le visuel majeur de Sonia a un peu changé au fil des ans, et si ce qui a commencé comme une expédition radicale de contrastes de couleurs est devenu une marque à la mode, est-ce de l’art ? Ou du design ? Ou, sans aucun doute, les deux en même temps – simultanément ? C’est là que la peinture s’est mise en scène, s’est sensualisée. C’est l’art de la performance qui nous a été apporté par les conceptions de style. Sonia attirait une clientèle aisée : une couche de laine cousue a été réalisée en 1925 pour la célébrité du cinéma Gloria Swanson, dans des tons géométriques de rouges épicés abondants, de bruns et aussi de crèmes. Dans ces productions de mode, les lignes droites prédominent comme les rubis ainsi que les rayures rouges et aussi les lignes droites se transforment selon des angles appropriés. C’est comme si l’exaltation de la salle de bal tourbillonnante avait été remplacée par le glamour de la route. Mais pas pour longtemps : dans les années 1930, les contours, les roues et les arcs sont de retour.
Pendant quatre autres décennies, Sonia Delaunay a développé des matériaux pour le magasin haut de gamme d’Amsterdam, Metz et Co, et plus récemment pour Liberty. Elle n’a pas vraiment abandonné les poètes, il faut le dire. Un “rideau de poèmes” de l’époque comporte des vers du surréaliste Philippe Soupault cousus en laine. Elle a fait des “poèmes-robes” – des mots qui marchent – et a parlé à la Sorbonne de “l’impact de la peinture sur la disposition des vêtements”.
Heureusement, Sonia a vécu longtemps. Au moment de sa mort en 1979, un tout nouveau mouvement féminin était en cours et on reconnaissait aussi son vif paiement à l’art moderne, contrepoint d’un siècle désagréable. Peut-être était-elle aussi considérée comme une valeur sûre : le président Pompidou a fait don de sa peinture Rythmes-Couleurs n° 1633 au président Nixon lors d’un contrôle officiel. Elle est restée moderne jusqu’à la fin ; même tard dans sa vie, elle s’est mise en contact avec le tout nouveau et étonnant. Elle a embelli une voiture de luxe, une Matra 530, en 1967, alors qu’elle avait 82 ans. Les lignes courbes de l’automobile sont peintes en grands carreaux de drapeau de course bleu ciel et bleu royal, en sauge écologique et aussi en rouge. C’est l’art en mouvement. Sonia a veillé à ce qu’au rythme, les couleurs se combinent au bleu, afin de ne pas distraire les autres chauffeurs.
Parmi ses dernières œuvres, on trouve des peintures mais aussi des gravures, qui remontent, tant par la méthode que par le style, aux toutes premières années de sa profession. Elle était déjà un trésor national français, mais la jeune Russe qui s’était montrée à Paris pleine de vigueur était encore à venir. Une forme ou un rythme exploré dans les années 20 pourrait se manifester à nouveau dans les années 60. Est-ce à dire que son travail n’a pas transformé, n’a pas vraiment établi ? Elle a probablement eu une suggestion différente du temps, plus comme une spirale que comme une pointe de flèche. Une pièce intitulée Rythme sans fin, danse, réalisée en 1964, est sous-titrée “D’après une aquarelle de 1923”. L’idée est dans le nom ; la danse continue. La couleur est un plaisir. L’abstraction rejette le fond. Comme l’a affirmé Sonia elle-même : “L’art abstrait n’est essentiel que s’il est le rythme innombrable où se rencontrent le très ancien et le long terme.”